Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/145

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croisé était noué derrière son dos à la façon des petites filles. Elle avait posé sur ses cuisses ses mains retournées et à demi ouvertes, de pauvres mains de vieille femme, gauches et raidies, enflées aux articulations et aux nœuds des doigts par la goutte. Enfoncée dans la pose fléchie et cassée qui fait soulever la tête aux vieillards pour vous voir et vous parler, elle se tenait ramassée et comme enterrée dans tout ce noir d’où ne sortaient que son visage jauni par la bile des tons du vieil ivoire, et la flamme chaude de son regard brun. À la voir, à voir ces yeux vivants et gais, ce corps misérable, cette robe de pauvreté, cette noblesse à porter l’âge en tous ses deuils, on eût cru voir une fée aux Petits-Ménages.

Germinie était à côté d’elle. La vieille demoiselle se mit à lui dire : — Il y est toujours le bourrelet sous la porte, hein, Germinie ?

— Oui, mademoiselle.

— Sais-tu, ma fille, reprit Mlle de Varandeuil après un silence, sais-tu que quand on est né dans un des plus beaux hôtels de la rue Royale… qu’on a dû posséder le Grand et le Petit-Charolais… qu’on a dû avoir pour campagne le château de Clichy-la-Garenne… qu’il fallait deux domestiques pour porter le plat d’argent sur lequel on servait le rôti chez votre grand’mère… sais-tu qu’il faut encore pas mal de philosophie, — et mademoiselle se passa avec difficulté une main sur les épaules, — pour se voir finir ici… dans ce diable de nid à rhu-