Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/148

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de cette voix sourde qui étouffe un secret. Elle prit des poses muettes et désolées, des attitudes d’enterrement, de ces airs avec lesquels le corps d’une femme dégage de la tristesse et fait un ennui de son ombre. Avec sa figure, son regard, sa bouche, les plis de sa robe, sa présence, avec le bruit qu’elle faisait en travaillant dans la pièce à côté, avec son silence même, elle enveloppait mademoiselle du désespoir de sa personne. Au moindre mot, elle se hérissait. Mademoiselle ne pouvait plus lui adresser une observation, lui demander la moindre chose, témoigner une volonté, un désir : tout était pris par elle comme un reproche. Elle avait là-dessus des sorties farouches. Elle grognait en pleurant : — Ah ! je suis bien malheureuse ! Je vois bien que mademoiselle ne m’aime plus ! Sa grippe contre les gens trouvait des bougonnements sublimes : — Elle vient toujours quand il pleut, celle-là ! disait-elle, pour un peu de crotte laissé sur le tapis par Mme de Belleuse. La semaine du jour de l’an, cette semaine où tout ce qui restait de parents et d’alliés à Mlle de Varandeuil montait sans exception, les plus riches comme les plus pauvres, ses cinq étages, et attendait à sa porte, sur le carré, pour se relayer sur les six chaises de sa chambre, Germinie redoubla de mauvaise humeur, de remarques impertinentes, de plaintes maussades. À tout moment, forgeant des torts à sa maîtresse, elle la punissait par un mutisme que rien ne pouvait rompre. Alors c’étaient des rages d’ouvrage. Tout autour d’elle, mademoiselle