Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/155

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— Après ce qu’elle m’a dit ? Jamais !

Et Germinie repoussa le bras de Jupillon.

— Alors, si c’est comme ça, adieu…

Et Jupillon leva sa casquette.

— Faudra-t-il que je t’écrive du régiment ?

Germinie eut un instant de silence, un moment d’hésitation. Puis brusquement : — Marchons, dit-elle, et faisant signe à Jupillon de marcher à côté d’elle, elle remonta la rue.

Tous deux se mirent à aller à côté l’un de l’autre, sans rien se dire. Ils arrivèrent à une route pavée qui se reculait et s’allongeait éternellement entre deux lignes de réverbères, entre deux rangées d’arbres tortillés jetant au ciel une poignée de branches sèches et plaquant à de grands murs plats leur ombre immobile et maigre. Là, sous le ciel aigu et glacé d’une réverbération de neige, ils marchaient longtemps, s’enfonçant dans le vague, l’infini, l’inconnu d’une rue qui suit toujours le même mur, les mêmes arbres, les mêmes réverbères, et conduit toujours à la même nuit. L’air humide et chargé qu’ils respiraient sentait le sucre, le suif et la charogne. Par moments, il leur passait comme un flamboiement devant les yeux : c’était une tapissière dont la lanterne donnait sur des bestiaux éventrés et des carrés de viande saignante jetés sur la croupe d’un cheval blanc : ce feu sur ces chairs, dans l’obscurité, ruisselait en incendie de pourpre, en fournaise de sang.

— Eh bien ! as-tu fait tes réflexions ? fit Jupillon.