Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/176

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de Mlle de Varandeuil, en l’approchant, en se trouvant en face d’elle, elle prenait la parole, l’attitude, même de certains plis de robe qui écartent d’une femme jusqu’à la pensée des approches de l’homme. Elle parlait librement de toutes choses, comme n’ayant à rougir de rien. Elle était amère aux fautes et aux hontes d’autrui, ainsi qu’une personne sans reproche. Elle plaisantait de l’amour avec sa maîtresse, gaiement, sans embarras, d’une façon détachée : on aurait cru l’entendre causer d’une vieille connaissance qu’elle aurait perdue de vue. Et il y avait autour de ses trente-cinq ans, pour tous ceux qui ne la voyaient que comme Mlle de Varandeuil et chez elle, une certaine atmosphère de chasteté particulière, le parfum d’honnêteté sévère et insoupçonnable, spécial aux vieilles bonnes et aux femmes laides.

Cependant tout ce mensonge d’apparences n’était pas de l’hypocrisie chez Germinie. Il ne venait pas d’une duplicité perverse, d’un calcul corrompu : c’était son affection pour mademoiselle qui la faisait être ce qu’elle était chez elle. Elle voulait à tout prix lui éviter le chagrin de la voir et de pénétrer au fond d’elle. Elle la trompait uniquement pour garder sa tendresse, avec une sorte de respect ; et dans l’horrible comédie qu’elle jouait, un sentiment pieux, presque religieux, se glissait, pareil au sentiment d’une fille mentant aux yeux de sa mère pour ne pas lui désoler le cœur.