Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/182

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crut qu’on sonnait. Elle alla ouvrir : il n’y avait personne. Elle revint avec le sentiment d’être seule, alla prendre un torchon à la cuisine et se mit à frotter l’acajou d’un fauteuil en tournant le dos à la commode ; mais elle voyait toujours la cassette, elle la voyait ouverte, elle voyait le coin à droite où mademoiselle mettait son or, les petits papiers dans lesquels elle l’empapillottait cent francs par cent francs ; ses vingt francs étaient là !.. Elle fermait les yeux comme à un éblouissement. Elle sentait le vertige dans sa conscience ; mais aussitôt elle se soulevait tout entière contre elle-même, et il lui semblait que son cœur indigné lui remontait dans a poitrine. En un moment, l’honneur de toute sa vie s’était dressé entre sa main et cette clef. Son passé de probité, de désintéressement, de dévouement, vingt ans de résistance aux mauvais conseils et à la corruption de ce quartier pourri, vingt ans de mépris pour le vol, vingt ans où sa poche n’avait pas eu un liard à ses maîtres, vingt ans d’indifférence au lucre, vingt ans où la tentation n’avait pas approché d’elle, sa longue et naturelle honnêteté, la confiance de mademoiselle, tout cela lui revint d’un seul coup. Ses jeunes années l’embrassèrent et la reprirent. De sa famille même, du souvenir de ses parents, de la mémoire pure de son misérable nom, des morts dont elle venait, il se leva comme un murmure d’ombres gardiennes autour d’elle… Une seconde elle fut sauvée.

Puis insensiblement, de mauvaises idées se glis-