Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/183

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sèrent une à une dans sa tête. Elle se chercha des sujets d’amertume, des raisons d’ingratitude contre sa maîtresse. Elle compara à ses gages le chiffre des gages dont se vantaient par vanité les autres bonnes de la maison. Elle trouva que mademoiselle était bienheureuse, qu’elle aurait dû l’augmenter davantage depuis qu’elle était chez elle. Et puis pourquoi, se demanda-t-elle tout à coup, laisse-t-elle la clef à sa cassette ? Et elle se mit à penser que cet argent qui était là n’était pas de l’argent pour vivre, mais des économies de mademoiselle pour acheter une robe de velours à une filleule ; de l’argent qui dormait… se dit-elle encore. Elle précipitait ses raisons comme pour s’empêcher de discuter ses excuses. Et puis, c’est pour une fois… Elle me les prêterait, si je lui demandais… Et je les lui rendrai…

Elle avança la main, elle fit tourner la clef… Elle s’arrêta ; il lui sembla que le grand silence qui était autour d’elle la regardait et l’écoutait. Elle leva les yeux : la glace lui jeta son visage. Devant cette figure qui était la sienne, elle eut peur ; elle recula d’épouvante et de honte comme devant la face de son crime : c’était la tête d’une voleuse qu’elle avait sur les épaules !

Elle s’était sauvée dans le corridor. Tout à coup, elle tourna sur ses talons, alla droit à la cassette, donna un tour de clef, jeta la main, fouilla sous des médaillons de cheveux et des bijoux de souvenir, prit une pièce à tâtons dans un rouleau de cinq