Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/186

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elle semblait avoir dormi. Elle se passait de manchettes, son col laissait voir contre la peau de son cou un liseré de crasse, et on la sentait plus sale encore en dessous qu’en dessus. Une odeur de misère, croupie et rance, se levait d’elle. Quelquefois c’était si fort que Mlle de Varandeuil ne pouvait s’empêcher de lui dire : — Va donc te changer, ma fille… tu sens le pauvre…

Dans la rue, elle n’avait plus l’air d’appartenir à quelqu’un de propre. Elle ne semblait plus la domestique d’une personne honnête. Elle perdait l’aspect d’une servante qui, se soignant et se respectant dans sa mise même, porte sur elle le reflet de sa maison et l’orgueil de ses maîtres. De jour en jour elle devenait cette créature abjecte et débraillée dont la robe glisse au ruisseau, — une souillon.

Se négligeant, elle négligeait tout autour d’elle. Elle ne rangeait plus, elle ne nettoyait plus, elle ne lavait plus. Elle laissait le désordre et la saleté entrer dans l’appartement, envahir l’intérieur de mademoiselle, ce petit intérieur dont la propreté faisait autrefois mademoiselle si contente et si fière. La poussière s’amassait, les araignées filaient derrière les cadres, les glaces se voilaient, les marbres des cheminées, l’acajou des meubles se ternissaient ; les papillons s’envolaient des tapis qui n’étaient plus secoués, les vers se mettaient où ne passaient plus la brosse ni le balai ; l’oubli poudroyait partout sur les choses sommeillantes et abandonnées que réveillait et ranimait autrefois le coup de main