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XLI.


Rentrant ce soir-là d’un dîner de baptême qu’elle n’avait pu refuser, mademoiselle entendit parler dans sa chambre. Elle crut qu’il y avait quelqu’un avec Germinie, et s’en étonnant, elle poussa la porte. À la lueur d’une chandelle charbonnante et fumeuse, elle ne vit d’abord personne ; puis, en regardant bien, elle aperçut sa bonne couchée et pelotonnée sur le pied de son lit.

Germinie dormait et parlait. Elle parlait avec un accent étrange, et qui donnait de l’émotion, presque de la peur. La vague solennité des choses surnaturelles, un souffle d’au delà de la vie s’élevait dans la chambre, avec cette parole du sommeil, involontaire, échappée, palpitante, suspendue, pareille à une âme sans corps qui errerait sur une bouche morte. C’était une voix lente, profonde, lointaine, avec de grands silences de respiration et des mots exhalés comme des soupirs, traversée de notes vibrantes et poignantes qui entraient dans le cœur, une voix pleine du mystère et du tremblement de la nuit où la dormeuse semblait retrouver à tâtons des souvenirs et passer la main sur des visages. On entendait : — Oh ! elle m’aimait bien… Et lui, s’il n’était pas mort… nous serions bienheureux à pré-