Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/192

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sent, n’est-ce pas ?… Non ! Non ! Mais c’est fait, tant pis, je ne veux pas le dire…

Et Germinie eut une contraction nerveuse comme pour faire rentrer son secret et le reprendre au bord de ses lèvres.

Mademoiselle était penchée avec une sorte d’épouvante sur ce corps abandonné et ne s’appartenant plus, dans lequel le passé revenait comme un revenant dans une maison abandonnée. Elle écoutait ces aveux prêts à jaillir et machinalement arrêtés, cette pensée sans connaissance qui parlait toute seule, cette voix qui ne s’entendait pas elle-même. Une sensation d’horreur lui venait : elle avait l’impression d’être à côté d’un cadavre possédé par un rêve.

Au bout de quelque temps de silence, d’une sorte de tiraillement entre ce qu’elle paraissait revoir, Germinie sembla laisser venir à elle le présent de sa vie. Ce qui lui échappait, ce qu’elle répandait dans des paroles coupées et sans suite, c’était, autant que pouvait le comprendre mademoiselle, des reproches à quelqu’un. Et à mesure qu’elle parlait, son langage devenait aussi méconnaissable que sa voix transposée dans les notes du songe. Il s’élevait au-dessus de la femme, au-dessus de son ton et de ses expressions journalières. C’était comme une langue de peuple purifiée et transfigurée dans la passion. Germinie accentuait les mots avec leur orthographe ; elle les disait avec leur éloquence. Les phrases sortaient de sa bouche, avec leur