Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/201

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désir, s’enivrait bientôt de la folle vision de ses hypothèses.

Puis peu à peu ce délire d’espoir quittait Germinie. Elle se disait que c’était impossible, que rien de ce qu’elle rêvait ne pouvait arriver, et elle restait à réfléchir, affaissée sur sa chaise. Bientôt, au bout de quelques instants, elle se levait, allait, lente et incertaine, à la cheminée, tâtonnait sur le manteau la cafetière et se décidait à la prendre : elle allait savoir le restant de sa vie. Son bonheur, son malheur, tout ce qui devait lui arriver était là, dans cette bonne aventure de la femme du peuple, sur cette assiette où elle venait de verser le marc du café…

Elle égouttait l’eau du marc, attendait quelques minutes, respirait dessus avec le souffle religieux dont sa bouche d’enfant touchait la patène à l’église de son village. Puis, se penchant, elle se tenait la tête en avant, effrayante d’immobilité, les yeux fixes et perdus sur la traînée de noir éparpillée en mouchetures sur l’assiette. Elle cherchait ce qu’elle avait vu trouver à des tireuses de cartes dans les granulations et le pointillé presque imperceptible que le résidu du café laisse en s’écoulant. Elle s’usait la vue sur ces milliers de petites taches, y déterrait des formes, des lettres, des signes. Elle isolait avec le doigt des grains pour se les montrer plus clairs et plus nets. Elle tournait et roulait lentement l’assiette entre ses mains, interrogeait son mystère de tous les côtés, et poursuivait dans son