Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irritations du dehors, contre les émotions faciles et les molles lâchetés de sa chair, contre toutes les sollicitations de nature qui l’assaillaient. Il lui fallut lutter avec les chaleurs de la journée, avec les suggestions de la nuit, avec les tiédeurs moites des temps d’orage, avec le souffle de son passé et de ses souvenirs, avec les choses peintes tout à coup au fond d’elle, avec les voix qui l’embrassaient tout bas à l’oreille, avec les frémissements qui faisaient passer de la tendresse dans tous ses membres.

Des semaines, des mois, des années, l’affreuse tentation dura pour elle, sans qu’elle y cédât, sans qu’elle prît un autre amant. Se craignant elle-même, elle fuyait l’homme et se sauvait de sa vue. Elle restait casanière et sauvage, enfermée chez mademoiselle, ou bien en haut dans sa chambre : le dimanche elle ne sortait plus. Elle avait cessé de voir les bonnes de la maison, et, pour s’occuper et s’oublier, elle s’abîmait dans de grands travaux de couture, ou s’enfonçait dans le sommeil. Quand des musiciens venaient dans la cour, elle fermait les fenêtres pour ne pas les entendre : la volupté de la musique lui mouillait l’âme.

Malgré tout, elle ne pouvait s’apaiser ni se refroidir. Ses mauvaises pensées se rallumaient toutes seules, vivaient et s’agitaient sur elles-mêmes. À toute heure, l’idée fixe du désir se levait de tout son être, devenait dans toute sa personne ce tourment fou qui ne finit pas, ce transport des sens au