Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/206

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malheurs de sa vie, de son service. Un peu d’argent qu’elle prêtait et qu’on ne lui rendait pas, une pièce fausse qu’on lui faisait passer dans une boutique, une commission qu’elle faisait mal, un achat où on la trompait, tout cela pour elle ne venait jamais de sa faute, ni d’un hasard. C’était la suite du reste. La vie était conjurée contre elle et la persécutait en tout, partout, du petit au grand, de sa fille qui était morte, à l’épicerie qui était mauvaise. Il y avait des jours ou elle cassait tout ce qu’elle touchait : elle s’imaginait alors être maudite jusqu’au bout des doigts. Maudite ! presque damnée, elle se persuadait qu’elle l’était bien réellement, lorsqu’elle interrogeait son corps, lorsqu’elle sondait ses sens. Dans la flamme de son sang, l’appétit de ses organes, sa faiblesse ardente, ne sentait-elle point s’agiter la Fatalité de l’Amour, le mystère et la possession d’une maladie, plus forte que sa pudeur et sa raison, l’ayant déjà livrée aux hontes de la passion, et devant — elle le pressentait — l’y livrer encore ?

Aussi n’avait-elle plus qu’une phrase à la bouche, une phrase qui était le refrain de ses pensées : Que voulez-vous ? je suis malheureuse… Je n’ai pas de chance… Moi d’abord rien ne me réussit. Elle disait cela comme une femme qui a renoncé à espérer. Avec la pensée chaque jour plus fixe d’être née sous un signe défavorable, d’appartenir à des haines et à des vengeances plus hautes qu’elle, la terreur était venue à Germinie de tout ce qui arrive dans