Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/210

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frisson du bois ; la rue passait et chantait dans le paysage. Aux arbres pendaient des chapeaux de femmes attachés dans un mouchoir avec quatre épingles ; le pompon d’un artilleur éclatait de rouge à chaque instant entre des découpures de feuilles ; des marchands de gauffres se levaient des fourrés ; sur les pelouses pelées, des enfants en blouse taillaient des branches, des ménages d’ouvriers baguenaudaient en mangeant du plaisir, des casquettes de voyou attrapaient des papillons. C’était un de ces bois à la façon de l’ancien bois de Boulogne, poudreux et grillé, une promenade banale et violée, un de ces endroits d’ombre avare où le peuple va se balader à la porte des capitales, parodies de forêts, pleines de bouchons, où l’on trouve dans les taillis des côtes de melon et des pendus !

La chaleur, ce jour-là, était étouffante ; il faisait un soleil sourd et roulant dans les nuages, une lumière orageuse, voilée et diffuse, qui aveuglait presque le regard. L’air avait une lourdeur morte ; rien ne remuait ; les verdures avec leurs petites ombres sèches ne bougeaient pas, le bois était las et comme accablé sous le ciel pesant. Par moments seulement un souffle se levait, qui traînait et rasait le sol. Un vent du midi passait, un de ces vents d’énervement, fauves et fades, qui soufflent sur les sens et roulent dans du feu l’haleine du désir. Sans savoir d’où cela venait, Germinie sentait alors passer sur tout son corps quelque chose de pareil au chatouillement du duvet d’une pêche mure contre la peau.