Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/211

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On allait toujours gaiement, avec cette activité un peu enivrée que donne la campagne aux gens du peuple. Les hommes couraient, les femmes les rattrapaient en sautillant. On jouait à se rouler. Il y avait dans la société des impatiences de danser, des envies de grimper aux arbres ; et de loin, le peintre s’amusait à jeter dans les meurtrières des portes du fort des cailloux qu’il y faisait toujours entrer.

À la fin, tout le monde s’assit dans une espèce de clairière, au pied d’un bouquet de chênes dont le soleil couchant allongeait l’ombre. Les hommes, allumant une allumette sur le coutil de leur pantalon, se mirent à fumer. Les femmes bavardaient, riaient, se renversaient à chaque minute dans de gros accès d’hilarité bête, et dans de criards éclats de joie. Seule, Germinie restait sans parler et sans rire. Elle n’écoutait pas, elle ne regardait pas. Ses yeux, sous ses paupières baissées, étaient fixement attachés au bout de ses bottines. Abîmée en elle-même, on l’eût dit absente du lieu et du moment où elle se trouvait. Allongée, étendue tout de son long sur l’herbe, la tête un peu relevée par une motte de terre, elle ne faisait d’autre mouvement que de poser à plat, à côté d’elle, sur l’herbe, la paume de ses mains ; puis, au bout d’un peu de temps, elle les retournait sur le dos et les reposait de même, recommençant toujours à chercher la fraîcheur de la terre pour éteindre le brûlement de sa peau.