Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/212

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— En v’là une feignante ! tu pionces ? lui dit Adèle.

Germinie ouvrit tout grands des yeux de feu, sans lui répondre, et jusqu’au dîner elle demeura dans la même pose, le même silence, la même torpeur, tâtonnant autour d’elle les places où n’avait point encore posé la fièvre de ses mains.

— Dédèle ! dit une voix de femme, chante-nous quelque chose…

— Ah ! répondit Adèle, je n’ai pas le vent avant manger…

Tout à coup un gros pavé, lancé en l’air, tomba à côté de Germinie, près de sa tête ; en même temps elle entendit la voix du peintre qui lui criait : As pas peur ! c’est votre chaise…

Chacun mit son mouchoir par terre en guise de nappe. On détortilla les mangeailles des papiers gras. Des litres débouchés, le vin coula à la ronde, moussant dans les verres calés entre des touffes d’herbe, et l’on se mit à manger des morceaux de charcuterie sur des tartines de pain qui servaient d’assiettes. Le peintre découpait, faisait des bateaux en papier pour mettre le sel, imitait les commandes des garçons de café, criait : Boum !… Pavillon !… Servez ! Peu à peu, la société s’animait. L’air, le petit bleu, la nourriture fouettait la gaieté de la table en plein vent. Les mains voisinaient, les bouches se rencontraient, de gros mots se disaient à l’oreille, des manches de chemises, un instant, entouraient les tailles, et, de temps en temps, dans