Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/230

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familles tassées dans une seule chambre, l’exhalaison des industries malsaines, les fumées graisseuses et animalisées des cuisines de réchaud chauffées sur le carré, une puanteur de loques, l’humide fadeur de linges séchant sur des ficelles. La fenêtre aux carreaux cassés que Germinie avait derrière elle lui envoyait la fétidité d’un plomb où toute la maison vidait ses ordures et son fumier coulant. À tout moment, sous une bouffée d’infection, son cœur se levait : elle était obligée de prendre dans sa poche un flacon d’eau de mélisse qu’elle avait toujours sur elle, et d’en boire une gorgée pour ne pas se trouver mal.

Mais l’escalier avait, lui aussi, ses passants : d’honnêtes femmes d’ouvriers remontaient avec un boisseau de charbon ou le litre du souper. Elles la frôlaient du pied, et tout le temps qu’elles mettaient à monter, Germinie sentait leur regard de mépris tourner autour de la cage de l’escalier et l’écraser de plus haut à chaque étage. Des enfants, des petites filles en fanchon qui passaient dans l’escalier noir avec la lumière d’une fleur, des petites filles qui lui faisaient revoir, comme la lui montraient souvent ses rêves, sa petite fille vivante et grandie, elle les voyait s’arrêter à la regarder avec de grands yeux qui se reculaient d’elle ; puis les petites se sauvaient et s’essoufflaient à monter, et quand elles étaient tout en haut, se penchant presque par-dessus la rampe, elles lui jetaient des sottises impures, des injures d’en-