Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/243

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montait sur les pieds. Elle demeura ainsi une demi-heure, lamentable à voir, sans mouvement, menaçante et désespérée, toute à contre-jour, sombre et sans visage, pareille à une Fatalité plantée par la Nuit à la porte d’un minzingue !

Enfin Jupillon sortit. Elle se dressa devant lui, les bras croisés :

— Mon argent ? lui dit-elle. Elle avait la figure d’une femme qui n’a plus de conscience, pour laquelle il n’y a plus de Dieu, plus de gendarmes, plus de cour d’assises, plus d’échafaud, — plus rien !

Jupillon sentit sa blague s’arrêter dans sa gorge.

— Ton argent ? fit-il, ton argent, il n’est pas perdu. Mais il faut le temps… Dans ce moment-ci, je te dirai, ça ne va pas fort l’ouvrage… Il y a longtemps que c’est fini, ma boutique, tu sais… Mais d’ici à trois mois, je te promets… Et tu vas bien ?

— Canaille, va ! Ah ! je te tiens donc ! Ah ! tu voulais filer… Mais c’est toi, mon malheur ! c’est toi qui m’as fait comme je suis, brigand ! voleur ! filou ! Ah ! c’est toi…

Germinie lui jetait cela au visage, en se poussant contre lui, en lui faisant tête, en avançant sa poitrine contre la sienne. Elle semblait se frotter aux coups qu’elle appelait et provoquait ; et elle lui criait, toute tendue vers lui : — Mais bats-moi donc ! Qu’est-ce qu’il faut donc que je te dise, dis, pour que tu me battes ?

Elle ne pensait plus. Elle ne savait pas ce qu’elle voulait ; seulement elle avait comme un besoin