Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/246

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arrêta court le vagabondage de ses sens ; elle voulut n’être à personne, puisque c’était le seul moyen qu’elle eût encore d’être à lui.

Elle se mit à le guetter, à étudier ses heures de sortie, les rues où il passait, les endroits où il allait. Elle le suivit, aux Batignolles, jusqu’à son nouveau logement, marcha derrière lui, contente de mettre le pied où il avait mis le sien, d’être menée par son chemin, de le voir un peu, de saisir un geste qu’il faisait, de lui prendre un de ses regards. C’était tout : elle n’osait lui parler ; elle se tenait à distance, allant derrière, comme un chien perdu tout heureux qu’on ne le repousse pas à coups de talon.

Elle se fit ainsi, pendant des semaines, l’ombre de cet homme, une ombre humble et peureuse qui reculait et s’éloignait de quelques pas, quand elle se croyait vue ; puis se rapprochait à pas timides, et à une marque d’impatience de l’homme, s’arrêtait encore, en paraissant demander grâce.

Quelquefois elle l’attendait à la porte d’une maison où il entrait, le reprenait quand il sortait, le reconduisait chez lui, toujours de loin, sans lui parler, avec l’air d’une mendiante qui mendie des restes et remercie de ce qu’on lui laisse ramasser. Puis au volet du rez-de-chaussée où il demeurait, elle écoutait s’il était seul, s’il n’y avait personne.

Quand il était avec une femme au bras, quoi qu’elle souffrît, elle s’acharnait à le poursuivre. Elle allait où allait le couple, jusqu’au bout. Elle entrait