Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/248

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là. Elle ne pensait pas à s’en aller. Elle attendait sans savoir ce qu’elle attendait. Il lui semblait qu’il fallait qu’elle restât là toujours, jusqu’à la fin. La pluie tombait plus fort. De l’eau, d’une gouttière crevée au-dessus d’elle, lui battait sur les épaules. De grosses gouttes lui glissaient sur la nuque. Un froid de glace lui coulait dans le dos. Sa robe suait l’eau sur le pavé. Elle ne s’en apercevait pas. Elle n’avait plus dans tous les membres que la souffrance de l’âme.

Bien avant dans la nuit, il y eut du bruit, un remuement, des pas vers la porte. Germinie courut se cacher à quelques pas dans le rentrant d’un mur, et elle vit une femme qu’emmenait un jeune homme. Comme elle les regardait s’éloigner, elle sentit sur ses mains quelque chose de doux et de chaud qui lui fit peur d’abord : c’était un chien qui la léchait, un gros chien qu’elle avait tenu tout petit bien des soirées sur ses genoux, dans l’arrière-boutique de la crémière…

— Ici, Molosse ! cria deux ou trois fois dans l’ombre de la rue la voix impatientée de Jupillon.

Le chien aboya, se sauva, se retourna en gambadant pour revenir, et rentra. La porte se referma. Les voix et les chansons ramenèrent à la même place, contre le volet, Germinie, que la pluie trempait et qui se laissa tremper en écoutant toujours, jusqu’au matin, jusqu’au petit jour, jusqu’à l’heure où des maçons allant à leur ouvrage, leur pain sous le bras, se mirent à rire en la voyant.