Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/253

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

monter à la figure et lui faire des plaques sur le front. La tête lui tournait. Dans la demi-asphyxie des blanchisseuses qui repassent au milieu de la vapeur des réchauds, elle se jetait à la fenêtre, et humait un peu d’air glacé.

Pour souffrir debout, aller toujours malgré ses défaillances, elle avait plus que la répulsion des gens du peuple à s’aliter, plus que la furieuse et jalouse volonté de ne pas laisser les soins d’une autre entourer mademoiselle : elle avait la terreur de la délation, qui pouvait entrer avec une nouvelle domestique. Il fallait qu’elle fût là pour garder mademoiselle et empêcher qu’on approchât d’elle. Puis il fallait encore qu’elle se montrât, que le quartier la vît, et qu’elle n’eût pas un air de morte pour ses créanciers. Il fallait qu’elle fît semblant d’avoir même des forces, qu’elle jouât l’apparence et la gaieté de la vie, qu’elle donnât confiance à toute la rue avec les paroles arrangées du médecin, avec une mine d’espérance, avec la promesse de ne pas mourir. Il fallait qu’elle fît bonne figure pour rassurer ses dettes, pour empêcher les alarmes de l’argent de monter l’escalier et de s’adresser à mademoiselle.

Cette comédie horrible et nécessaire, elle la soutint. Elle fut héroïque à faire mentir tout son corps, redressant, devant les boutiques qui l’épiaient, sa taille affaissée, pressant son pas traînant, se frottant les joues, avant de descendre, avec une serviette rude pour y rappeler la couleur du sang, pour far-