Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/47

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rance et de délivrance où dormaient les siens. Ce jour-là, elle partait de bonne heure avec sa bonne qui lui donnait le bras et portait un pliant. Près du cimetière, elle entrait chez une marchande de couronnes qui la connaissait depuis de longues années, et qui l’hiver lui apportait sa chaufferette sous les pieds. Là, elle se reposait quelques instants ; puis, chargeant Germinie de couronnes d’immortelles, elle passait la porte du cimetière, prenait l’allée gauche du cèdre de l’entrée, et faisait lentement son pèlerinage de tombe en tombe. Elle jetait les fleurs flétries, balayait les feuilles mortes, nouait les couronnes, s’asseyait sur son pliant, regardait, songeait, détachait du bout de son ombrelle, distraitement, une moisissure de mousse sur la pierre plate. Puis elle se levait, se retournait comme pour dire à revoir à la tombe qu’elle quittait, allait plus loin, s’arrêtait encore, causait tout bas, comme elle avait déjà fait, avec ce qui dormait de son cœur sous cette pierre ; et sa visite ainsi faite à tous les morts de ses affections, elle revenait lentement, religieusement, s’enveloppant de silence et comme ayant peur de parler.