Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/49

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aimait mieux retourner chez eux. On lui répondait qu’elle avait déjà coûté assez d’argent pour venir, que c’étaient des caprices, qu’elle était très-bien où elle était, et on la renvoyait au café tout en larmes. Elle n’osait dire tout ce qu’elle souffrait à côté de ces garçons de café, effrontés, blagueurs, cyniques, nourris de restes de débauche, salis de tous les vices qu’ils servent, et mêlant au fond d’eux les pourritures d’un arlequin d’orgie. À toute heure, elle avait à subir les lâches plaisanteries, les mystifications cruelles, les méchancetés de ces hommes heureux d’avoir leur petit martyr dans cette petite fillette sauvage, ne sachant rien, l’air malingre et opprimé, peureuse et ombrageuse, maigre et pitoyablement vêtue de ses mauvaises petites robes de campagne. Étourdie, comme assommée sous ce supplice de toutes les heures, elle devint leur souffre-douleur. Ils se jouaient de ses ignorances, ils la trompaient et l’abusaient par des farces, ils l’accablaient sous la fatigue, ils l’hébétaient de risées continues et impitoyables qui poussaient presque à l’imbécillité cette intelligence ahurie. Puis encore ils la faisaient rougir de choses qu’ils lui disaient et dont elle se sentait honteuse, sans les comprendre. Ils touchaient avec des demi-mots d’ordure à la naïveté de ses quatorze ans. Et ils s’amusaient à mettre les yeux de sa curiosité d’enfant à la serrure des cabinets.

La petite voulait se confier à ses sœurs, elle n’osait. Comme, avec la nourriture, il lui venait un peu de chair au corps, un peu de couleur aux