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GERMINIE LACERTEUX.

— Avec cela que chez vous autres, reprit Mlle de Varandeuil en suivant son idée, les hommes sont de jolis cadets ! Ils te grugeront ce que tu as… sans compter les tapes… Mais le mariage… je suis sûre que ça te trotte la cervelle, cette histoire-là, de te marier quand tu vois les autres… C’est ça qui te donne cette frimousse-là, je parie ? Bon Dieu de Dieu ! Maintenant tourne un peu qu’on te voie, dit Mlle de Varandeuil avec son ton de caresse brusque ; et, mettant ses deux mains maigres aux deux bras de son fauteuil, croisant ses deux jambes l’une sur l’autre, et remuant le bout de son pied, elle se mit à inspecter Germinie et sa toilette.

— Que diable ! dit-elle au bout de quelques instants d’attention muette, comment, c’est toi ?… Je n’ai donc jamais mis mes yeux pour te regarder… Bon Dieu, oui !… Ah ! mais… ah ! mais… Elle mâchonna encore quelques vagues exclamations entre ses dents. — Où diantre as-tu pris ce museau de chatte amoureuse ? fit-elle à la fin ; et elle se mit à la regarder.

Germinie était laide. Ses cheveux, d’un châtain foncé et qui paraissaient noirs, frisottaient et se tortillaient en ondes revêches, en petites mèches dures et rebelles, échappées et soulevées sur sa tête malgré la pommade de ses bandeaux lissés. Son front petit, poli, bombé, s’avançait de l’ombre d’orbites profondes où s’enfonçaient et se cavaient presque maladivement ses yeux, de petits yeux éveillés, scintillants, rapetissés et ravivés par un clignement