Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/72

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donnât sa famille. Elle regardait l’appartement en se disant : Il faut pourtant que je m’en aille ! Et puis elle avait peur que mademoiselle ne fût malade quand elle ne serait plus là. Une autre bonne ! À cette idée, elle était prise de jalousie, et elle croyait déjà voir quelqu’un lui voler sa maîtresse. À d’autres moments, ses idées de religion la jetant à des idées d’immolation, elle était toute prête à vouer son existence à celle de ce beau-frère. Elle voulait aller habiter avec cet homme qu’elle détestait, avec lequel elle avait toujours été mal, qui avait à peu près tué sa sœur de chagrin, qu’elle savait ivrogne et brutal ; et tout ce qu’elle en attendait, tout ce qu’elle en craignait, la certitude et la peur de tout ce qu’elle aurait à souffrir, ne faisait que l’exalter, l’enflammer, la pousser au sacrifice avec plus d’impatience et d’ardeur. Tout cela souvent en un instant tombait : à un mot, à un geste de mademoiselle, Germinie revenait à elle-même et ne se reconnaissait plus. Elle se sentait tout entière et pour toujours rattachée à sa maîtresse, et elle éprouvait comme une horreur d’avoir seulement pensé à détacher sa vie de la sienne. Elle lutta ainsi deux ans. Puis un beau jour, par un hasard, elle apprit que sa nièce était morte quelques semaines après sa sœur : son beau-frère lui avait caché cette mort, pour la tenir et l’attirer à lui, avec ses quelques sous, en Afrique. À cette révélation, Germinie, perdant toute illusion, fut guérie d’un seul coup. À peine si elle se rappela qu’elle avait voulu partir.