Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/105

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— Un roman, un roman ? (soupirant) ah ! c’est bien sérieux pour moi ! (souriant à demi) mon mari me défend d’en lire… (me regardant brusquement) quittons-nous !

— Mais, Madame, vous avez l’air de ce personnage de comédie qui dit toujours : « Je vais me coucher ! »

Elle a un petit mouvement de dépit, traverse la rue, pose le front, mordu d’un coup de soleil, contre la grille de l’église, où, dans le moment, monte une noce.

— Voyons, Madame, vous ne me laisserez pas ainsi ! Je vous reverrai ?

— Mettez votre lorgnon et regardez la mariée… Est-elle jolie ?… Écoutez-moi… Oui, il y a quelqu’un de coupable dans tout ça, c’est moi… Je vous ai provoqué… Cette fenêtre, je ne voulais pas y aller, je me mettais en colère contre moi-même, et j’y allais… C’est vrai, je vous ai provoqué, j’ai excité chez vous un petit sentiment… Allez, ce n’est pas une chose bien grave tout cela, chez vous… Je déménagerai, et ça ne laissera pas une grande trace… Tout de même, j’ai bien du plaisir à vous voir de près, moi qui ne vous vois que de si loin… Saluez-moi et partez… Voilà mon mari ! »

— Rue des Fossés-du-Temple (la rue derrière les théâtres), rue noire fermée d’un côté par un mur peu élevé, au-dessus duquel pyramident des piles de bois, un mur troué par de grandes portes cochères et des baies de marchands de vin et de pauvres