Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/346

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impressions de choses extérieures ne viennent pas, non de ces choses, mais de nous. Il y a des jours de soleil qui semblent gris à l’âme, et des ciels gris que l’on se rappelle comme les plus gais du monde. La bonté du vin, c’est le verre, l’instant, le lieu, la table où on le boit. La beauté de la femme, c’est l’amour qui la regarde.

24 août. — Aubryet a invité à dîner aujourd’hui chez lui tous les dîneurs de Charles Edmond de dimanche dernier. Nous sommes Saint-Victor, Flaubert, Charles Edmond, Ludovic Halévy, Claudin et Théophile Gautier. Un appartement, rue Taitbout, au cinquième, où a passé un tapissier de lorettes. Un salon capitonné de soie gorge de pigeon avec un plafond de Faustin Besson. Une salle à manger meublée de ce bric-à-brac de la porcelaine et de la verrerie, qu’Arsène Houssaye a mis à la mode. On s’assied à table, et de suite, la causerie prend feu à propos de Ponsard, en train de lutiner Titania, dans une pièce à l’imitation de Shakespeare.

— « Vous n’avez jamais vu Ponsard ? Figurez-vous un gendarme qui fait ses farces… Toi, Théo, tu as été bien, tu l’as fortement éreinté, dit Saint-Victor.

— Oh ! moi, toujours, répond Gautier, c’est l’homme avec lequel on a tapé sur mes admirations… c’est la mâchoire d’âne dont on s’est servi pour assommer Hugo.

— Eh bien ! vocifère Flaubert, il y en a encore un