Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/101

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soufflé sa bougie, il soupirait comme une action de grâces à Dieu : « Comment ! tu vis encore, petite canaille ! » Il est toujours dans sa maison en construction de la rue de la Brèche-aux-Loups, dans une chambre où il a couché deux mois, avant que les fenêtres fussent posées et au-dessus de la bataille de chevaux de charroyeurs, qu’il entend appeler de ces noms effroyables : Mord-la-nuit et Bon-à-tuer.

21 décembre. — Tous ces jours-ci nous avons relu des imprimés de la Révolution pour une pièce que nous faisons sur l’époque. Notre pièce ne dira pas ce que nous sentons à relire cela ; nous tâcherons d’y mettre le plus possible des sentiments d’impartialité qu’exige le théâtre.

Mais notre vraie et intime impression : c’est le dégoût, c’est le mépris. L’esprit, pour peu qu’on l’ait délicat, se soulève plus que le cœur contre ces pages, plus pleines encore d’inepties que de crimes. Ce qui domine, avant tout, dans cette mare d’assassinats : c’est l’odeur de la bêtise. La Révolution a eu beau se faire terrible, elle est foncièrement bête. Sans le sang elle serait niaise, sans la guillotine elle serait burlesque. Ôtez à ces grands hommes, à Robespierre, à Marat, leurs nimbes de bourreaux, l’un n’est plus qu’un professeur de rhétorique filandreux : Gracchus Pet-de-Loup, et l’autre, un maniaque, un aliéné caricatural. Oui, ôtez le sang de la Révolution et le mot : « C’est trop bête ! » vous vien-