Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/103

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rière. Nous trouvons ce pauvre vieillard attendant une visite comme on attend une fête. Tout branlant, les mains tremblotantes, il nous fait place avec joie, auprès de son feu. Sa mémoire vacillante, sa parole bégayante et à demi paralysée, cherchent à se rattacher à nous par d’aimables caresses de sa vieille pensée. Et comme de choses qui lui font peur et qui lui ont laissé une impression tourmentante, il nous parle de tous les sentiments mauvais, déchaînés contre nous, et, en causant de cela, il se lève de ce vieillard moribond et qui a vu 93, comme une épouvante de l’envie de ces temps-ci et de l’avenir de haines germant dans cette tourbe des lettres, — et qui l’étonne comme une fermentation mauvaise, jusqu’ici sans exemple : « Ah ! oui, maintenant, lui disons-nous, s’il n’y avait pas de gendarmes, tout homme qui aurait deux sous de notoriété, serait déchiré en pleine rue ! »

24 décembre. — Accrochés ce soir à la taverne de Lucas par Paul Baudry, il nous emmène à son atelier qui est de l’autre côté de la rue, et nous fait voir une de ces grandes machines pour l’Opéra, où, en dépit de beaucoup de talent, il me fait l’effet de Goltzius cherchant Michel-Ange.

Les peintres sont vraiment malheureux. Hors le moderne qu’ils méprisent, les plus vrais talents, tels que Baudry, sont toujours amenés à refaire ce que de plus forts qu’eux ont déjà peint. Décidément