Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/117

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8 mars. — Nous nous sauvons comme des voleurs avec deux gros volumes sous le bras : les « Mémoires de Gavarni, » que son fils vient de nous confier. Nous avons eu peu, dans notre vie, de joies aussi vives. Et avant d’aller prendre notre leçon d’armes, au premier café borgne, sur le marbre taché de roupies de café, nous voilà à nous plonger dans cette cervelle et ce cœur, tout ouverts.

15 mars. — Mémoires curieux que ces mémoires de Gavarni. Pas un parent, un ami, un passant, nommé dans son existence, — une absence complète des autres.

Des mémoires remplis uniquement par la femme qui semble avoir pris absolument possession de son moi : et un mélange de cynisme et de « petite fleur bleue ». Plus tard la mathématique chasse la femme, mais sans laisser plus reparaître dans le journal l’homme avoisinant l’artiste… La plus étonnante inégalité dans le niveau des idées, les plus grandes vues à côté de balivernes, de calembours, de désossements enfantins de mots.

Au fond Gavarni n’a écrit dans ces deux volumes que ses mémoires amoureux, et en un temps où il est encore un soupireur du bataillon sentimentaire et romanesque de 1830, allant presque, dans la pratique, à l’échelle de corde et à la lanterne sourde, — et cela dans une prose lamartinienne mélangée de casuistique amoureuse à la