Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’autre art, ma conviction est qu’ils ne sentent rien, absolument rien.

— Il y a autour de nous une mauvaise volonté du temps et des gens. Nous nous sentons vivre dans une hostilité ambiante. Il est comme une entente, pour nous empêcher de prendre possession, de notre vivant, de notre petit morceau de gloire. Cela ne nous ôte rien de notre confiance et de notre conscience dans l’avenir ; mais cela nous est amer de sentir que, pendant toute notre vie, rien ou presque rien ne nous sera payé pour tout ce que nous avons apporté de neuf, d’humain, d’artiste ; tandis qu’à côté de nous, le tintamarre des moindres petits talents fait tant de bruit, et que ces petits talents touchent un si retentissant viager.

— En ce moment nous achetons force mémoires, correspondances, autobiographies, tous documents d’humanité : — le charnier de la vérité.

6 mars. — La princesse a un charmant sourire, un aimable sourire humain, plein de choses. Il eût fallu le lui voir sur les lèvres, ce sourire, quand elle disait, ce soir, à Sainte-Beuve : « Oh ! si un jour on fouille nos correspondances, monsieur de Sainte-Beuve, on verra que nous avons tendu la main à pas mal de coquins ! »