Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/119

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poète, et sert aux hommes et aux femmes de ce monde, dans une langue à leur portée, l’idéal des lieux communs de leur cœur.

17 mars. — Je vomis mes contemporains. C’est dans le monde actuel des lettres, et dans le plus haut, un aplatissement des jugements, un écroulement des opinions et des consciences. Les plus francs, les plus coléreux, les plus pléthoriques, dans la bassesse des événements, du ciel, des fortunes de ce temps, au contact du monde, au frottement des relations, au ramollissement des accommodements, dans l’air ambiant des lâchetés, perdent le sens de la révolte, et ont de la peine à ne pas trouver beau, tout ce qui réussit.

19 mars. — Un garçon qui veut faire notre portrait littéraire, nous a écrit pour nous voir. Il s’appelle Puissant.

Une tête excentrique, un Bourguignon aux joues allumées du vin de son pays, le crâne nu, brillant de ce blanc poli qu’ont souvent les têtes des toqués, rasé comme un acteur, une petite mouche noire d’ouvrier sous la lèvre, et vêtu d’habits de village. Quelque chose d’un comédien, d’un fou, d’un vigneron, avec une parole bizarre qui dramatise ce qu’elle conte, et parfois s’arrête, au milieu de ricanements troublants.

Au lieu de nous confesser, il nous raconte son