Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/126

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pour l’histoire de France… La belle besogne pour un malade de Paris, pour un jeune blessé de la société moderne, de venir s’enterrer ici, de faire une suite de monographies qui s’appelleraient le Panthéon, le Colisée… ou mieux, s’il en avait la puissance, de reconstituer, dans un grand et gros livre, toute la société antique, et s’aidant des musées, de tout le petit monde de choses et d’objets qui a approché l’homme ancien, le montrerait comme on ne l’a pas encore montré, — et, avec la strigille accrochée dans une vitrine, vous ferait toucher la peau de bronze de la vieille Rome.

Ce soir, un inoubliable tableau à l’hôpital des Pellegrini. Sur des bancs, des files de paysans sauvages, de vrais pouilleux, un bec de gaz, au-dessus de leurs têtes dans l’ombre, qui ne montre de blanc que le col de leurs chemises ouvertes, — et leur dépiotant les bas, et leur lavant les pieds dans un baquet, des confrères de la Trinité, des pèlerins en rouge à rabats, et à tabliers blancs, avec des serviettes sous le bras, à l’instar des garçons de café, — des confrères qui sont des cardinaux, des princes, de jeunes gentilshommes, dont on voit les bottes vernies sous la robe du servant, et que leurs voitures attendent sur la place.

Et quand ces immondes pieds sont lavés et essuyés, les confrères, les approchant de leur bouche, les baisent à deux places.

Une certaine émotion devant cet impitoyable rappel à l’égalité. Au fond une grande source d’humanité que cette religion catholique, et je m’irrite de