Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/140

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de bois blanc, des têtes séchées, des crânes ficelés avec des morceaux de chiffon ; des crânes de toute couleur, les uns verts de la patine du bronze, d’autres, sous le soleil, tout suintants de bitume et de naphte ; d’autres noirs avec de petits morceaux carrés de feuilles d’or plaqués dessus, d’autres avec les belles pâleurs d’ivoire des vieux os et les grands creux d’ombre du vide des yeux. Et dans le tas, au milieu des fronts fuyants, un front renflé de pensée et de sagesse, noblement socratique, et à côté, une tête de femme toute décharnée, et qu’on rêve avoir été belle, coiffée de la luxuriance d’une chevelure roussie et carminée ainsi que tous les cheveux que l’on voit, et dont la grosse natte, à demi émiettée, lui aveugle les yeux.

En travers, jetée sur une table, la momie qu’on va débandeletter. Tout autour des redingotes décorées. Et l’on commence l’interminable déroulement de la toile emmaillotant le paquet raide. C’est une femme qui a vécu, — il y a deux mille quatre cents ans, — et ce redoutable et si lointain passé d’un être, dont nos regards commencent à tâtonner la forme, et dont on va violer l’infini sommeil, semble mettre, en la salle, en la curiosité historique qui est là, je ne sais quoi de religieux dans l’avidité de voir.

On déroule, on déroule toujours, toujours, toujours, sans que l’empaquetage semble diminuer, sans qu’on sente, pour ainsi dire, s’approcher du corps. Le lin paraît renaître et menace de ne jamais finir, sous les mains des aides qui le déroulent inter-