Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/143

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riait, on fumait. Pauvre cadavre profané, si bien enterré et voilé, et qui devait si parfaitement se croire sûr du repos et du secret de l’inviolabilité éternelle, et que le hasard d’une fouille jetait là, comme une crevée de notre temps, sur une table d’amphithéâtre, sans que personne, autre que nous deux, en ressentît une profonde mélancolie.

Le soir venu, nous avons vagué avec Théophile Gautier, autour de ce grand monstre de choses, qu’on appelle l’Exposition. En cette Babel d’industrie, c’était comme une promenade dans un songe, où un élève de l’École centrale aurait montré à Paris, inondé du rendez-vous des peuples et de la fraternisation de l’Univers, un raccourci en liège de tous les monuments de la terre… Et peu à peu les choses prenaient autour de nous un aspect fantastique. Le ciel du Champ-de-Mars revêtait les teintes d’un ciel d’Orient ; le tohu-bohu des constructions du jardin silhouettait, sur le violet du soir, la découpure d’un paysage de Marilhat ; les dômes, les kiosques, les minarets colorés mettaient dans la nuit parisienne les transparences reflétées de la nuit d’une cité d’Asie ; le bœuf gras empaillé du boucher primé Fléchelle, blanchissait des blancheurs sacrées d’Apis.

Et par moments, il nous semblait marcher dans une image peinte du Japon, autour de ce palais infini, sous ce toit avancé comme celui d’une bonzerie, éclairé par des globes de verre dépoli, tout pareils aux lanternes de papier d’une Fête des Lanternes ; ou bien sous le flottement des étendards et