Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/145

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On passe dans la salle à manger et on dîne. Alors c’est l’exhibition du surtout, et c’est la bourgeoise invitation sans pudeur à admirer cela, et à toujours l’admirer. On n’en dit pas le prix, mais on déclare que chez tel fabricant il coûterait 80 000 francs. Et il faut que chacun, le poing sur la gorge, accouche de son admiration, de son compliment, et le compliment, si gros qu’il soit, ne satisfait pas encore. Saint-Victor vante le talent du banal sculpteur de cela, de Carrier-Belleuse, ce pacotilleur du XIXe siècle, ce copieur de Clodion. Il se vante de lui avoir fait obtenir cette année la médaille de sculpture, s’indignant qu’on n’ait pas décoré le modeleur du service… Le dîner est bon, très bon, mais sans rien de ce qui étonne un estomac.

La maîtresse de maison, je la regarde, je l’étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles épaules se montrant par derrière jusqu’aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relâchement des épaulettes ; de gros yeux ronds ; un nez en poire avec un méplat kalmouck au bout, un nez aux ailes lourdes ; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là-dedans des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires, et, de chaque côté de la bouche, un creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton qu’il coupe d’un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans, et qui prend, par