Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/147

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sommes allés passer quelques jours, cette semaine, disait, nous racontant sa mission à Vienne, après Sadowa : « Ce Bismarck, un homme étonnant ! Je l’ai trouvé à Brunn, le 13 juillet, à deux heures du matin, dans son lit. Il avait sur sa table de nuit des bougies allumées et deux revolvers. Il lisait, et savez-vous ce qu’il lisait, l’Hôtel Carnavalet de Paul Féval, oui l’Hôtel Carnavalet ! »

Pendant que nous sommes chez lui, il se laisse aller à nous conter le détail de sa bizarre campagne, d’un avant-poste à un avant-poste, tandis que sa femme nous fait voir ses mouchoirs de parlementaire avec les inscriptions écrites à l’encre. Il nous lit les lettres qu’il lui a écrites, les gîtes, les couchers de la campagne, son départ de Nickolsburg, son passage au milieu des blessés arriérés et des cantiniers attardés, ses nuits dans les villes aux rues à arcades, devenues un lit de paille pour la mort. Une curieuse lettre, est une lettre adressée à son fils âgé de six ans, où il lui raconte, sur le ton de la plaisanterie, sa promenade de pékin dans tout ça, escorté de son trompette prussien : on ferait quelque chose de charmant de la guerre, ainsi contée par un père à son enfant.

Puis il nous parle de choses ignorées, d’une proposition de la Russie, effrayée des résultats de la bataille de Sadowa, proposition, répétée deux fois, de se donner franchement à la France, mais à la condition qu’on ne lui parlerait plus de la Pologne, offrant une alliance entière, et déclarant qu’il n’y