Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/155

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une grillade de porc, arrosée de vin blanc. On l’entraîne vers le Sichon… Il marche bougonnant, en demandant le frigus opacum, en jetant dans la verdure des mots du café des Variétés. Il hèle, à travers les champs, une vache : « Superbe, la vache de Fénelon ! »

Cela, mêlé de paroles amères, de paradoxes sauvages, de rampements amoureux sur l’herbe vers la jupe de la diva. Puis il blasphème spirituellement et drolatiquement Hugo, et redemande de la grillade.

22 juillet. — Ce soir Burty revient à l’hôtel s’habiller pour un bal. Il entre chez nous, se met à causer de son père, du premier Empire, allume un cigare, et pris par l’intérêt de ce qu’il raconte, par le souvenir du passé et de la famille, nous fait toucher les changements survenus dans les habitudes, les mœurs, le train de vie de la bourgeoisie marchande.

Aujourd’hui les Delisle, les Cheuvreux-Aubertot ont des châteaux, avec le luxe, la chasse, tout le tra la la de l’aristocratie. Dans le temps, dont il nous parle — et remarquez qu’il n’y a pas plus de cinquante ans, — le premier marchand de soieries qui était son père, louait, l’été, une maison de campagne de 300 francs à Groslay, et la grande distraction du dimanche pour les invités et les grands commissionnaires américains et russes, était l’achat, pour 12 francs, d’un cerisier dans la campagne, d’un cerisier que la société mangeait sur pied.