Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/175

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— Nous sommes des assidus de l’Arène athlétique, de ce spectacle de la lutte, qui se répercute dans tous vos nerfs, et dont vous vous en allez avec un peu de la tristesse et de la déception des vaincus. Ce soir nous avons vu, pour la première fois, « l’homme masqué », une figure du paladin du biceps, qui nous est restée, ainsi qu’une apparition du Chevalier noir, dans le chapitre d’un roman de Walter Scott.

Cette force masquée, une force étrange, mystérieuse, différente de toutes les forces que nous avons vues à l’ouvrage, une force qui part comme un ressort et qui, en ses deux petites mains gantées de noir, pétrit un torse et des flancs, comme avec des mains d’acier. Ç’a été un spectacle étonnant et tout inattendu, que ce gros Farnèse de Bonnet, étendu, aplati par terre, rendu inerte, la puissance de sa masse brisée sous cet homme, à tête de satin noir, couché presque doucement sur lui avec la pesée légère et fantastique d’une chimère et d’un cauchemar.

Il y a une heure là, quand le gaz baisse et s’embruine, que le brouillard des cigares devient intense, qu’une pâleur nerveuse est sur toutes les figures, que les teints de Paris se plombent d’émotion, une heure où, sur les gradins de la salle de bois, la foule de ces têtes de photographes et de journalistes, fait comme des tas blafards et effacés de vivants, dans une ombre à la Goya[1].

  1. Une description prise dans le même temps de l’Arène athlétique, et que je retrouve dans le cahier documentaire de nos Romans futurs, qui n’ont point été faits, hélas !