Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/176

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— Après dîner, au restaurant Philippe.

Du talent, peut-être en avons-nous, et je le crois, mais d’avoir du talent, il nous vient moins d’orgueil, que de nous trouver des espèces d’êtres impressionnables d’une délicatesse infinie, des vibrants d’une manière supérieure, et les plus artistes à goûter l’aile de poularde braisée que nous mangeons ici, un tableau, un dessin, une boîte de laque, un bonnet de linge de femme, le suprême et l’exquis de toute chose raffinée et inaccessible aux gros sens d’un public.

27 septembre — Voltaire, et encore et toujours cette histoire de sa fièvre à l’anniversaire de la Saint-Barthélemy. Lui, la sensitive de l’éphéméride ! Allons donc, lui bon, tendre, pitoyable ! Mais, je le répète, il n’y a qu’à regarder ses lèvres, dans sa statue de Houdon. Eh bien, moi aussi je te baptiserai, Voltaire, tu es Satan-Prud’homme.

La lumière blanche du gaz, réverbérée par les disques de métal, faisant des remous comme argentés sur le rouge des banquettes. La salle blanchie à la chaux, sur laquelle s’enlève la couleur naturelle du bois des poutrelles et des planches des petites loges, en forme de box. Dans l’ombre profonde des deux extrémités de la salle, le scintillement des boutons et des poignées d’épée des sergents de ville.

Les membres luisants des lutteurs s’élançant dans la pleine lumière. — Les défis des yeux. — Les claquements de mains sur la peau dans l’empoignade. — Une sueur qui sent la bête fauve. — Des pâleurs se mêlant à la blondeur des moustaches. — Des chairs qui se rosent aux places talées. — Des dos suintant comme des pierres d’étuves. — Des marches se traînant à genoux. — Des virevoltes sur la tête, etc., etc.