Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/186

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maître d’hôtel d’une cérémonie funèbre, de son repas de mort. Je le trouve cassé, vieux, rabâchant, ayant pour se plaindre du mal qu’il a à vivre, cette mimique sénile, ces fermements d’yeux qui disent : « Allez, je me sens ! » ces gestes de componction triste, et ces paroles qui se plaignent avec des mots vides.

Il ne mange pas, se lève deux ou trois fois pendant le dîner, demande qu’on ne fasse pas attention à lui, revient comme le revenant de sa maison, comme une ombre de vieillard qui ne veut déranger personne.

Chacun se bat les flancs. On essaye d’égayer le champagne, mais le rire est froid et se glace. La princesse devient sérieuse et paraît souffrante… Dans le salon, Sainte-Beuve, tâchant de sourire, assis au bout du canapé jonquille, arc-bouté de ses deux poings sur la soie, se laisse aller à conter les tristesses de sa jeunesse, de sa vie sans chaleur avec les gens du Globe, Cousin, Vitet : gens qui ne lui donnaient que leur esprit, leur amabilité, rien de plus, et souvent le déconcertaient par des discussions, où il était tout étonné d’entendre Cousin appeler Louis XIV « un godelureau ».

Il nous parle de son temps d’interne à Saint-Louis, en 1827, de sa chambre, rue de Lancry, au dix-huitième étage, « où je vivais si seul, dit-il, que pendant sept mois, personne n’est entré que ma mère, et une seule fois »… C’est depuis ces mélancolies de l’isolement, qu’il a réagi contre, qu’il a eu toujours besoin de monde, qu’il a voulu dans sa salle à