Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de maladie nerveuse de l’oreille, l’acuité de la perception devient douloureusement infinie, et l’on ne souffre pas seulement du bruit, mais de la prévision et de l’attente du bruit, et le bruit fait, on souffre encore de ce qui est si long à mourir dans les ondes sonores.

8 février. — Toute cette semaine, enfoncés dans cette vie de Gavarni. Quel chasseur de femmes ! Quel passionné de l’inconnu féminin ! Quel suiveur de toutes celles qu’il voit, et que de rendez-vous !… Et quelquefois, je ne sais quoi de noir et de machiavélique, une méchanceté de Liaisons Dangereuses, curieuse d’expériences cruelles, un jeu amer avec les faiblesses de la femme…

— Une des joies d’orgueil de l’homme de lettres, — quand cet homme de lettres est un artiste, — c’est de sentir en lui la faculté de pouvoir immortaliser, à son gré, ce qu’il lui plaît d’immortaliser. Dans ce peu de chose qu’il est, il a comme la conscience d’une divinité créatrice. Dieu crée des existences, l’homme d’imagination crée des vies fictives, qui quelquefois, dans la mémoire du monde, laissent un souvenir plus profond, pour ainsi dire, plus vécu.

11 février. — À une soirée d’Arsène Houssaye…