Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le mot donne parfaitement le criterium littéraire de la femme en fait de romans.

7 mars. — Ce matin, terreur de migraine. Nous n’en avons pas, mais l’agacement du bruit de la maison, et les ennuis de notre vie, depuis tant de jours, nous ont délabré absolument l’estomac. Du reste, nulle illusion, pas un espoir à avoir, nous le sentons d’avance. En chemin, le lecteur de nous deux, pris d’un barbouillement de cœur qui lui fait l’affreuse peur de ne pouvoir lire. Nous entrons dans un café, avalons un grog au rhum et reprenons le chemin du théâtre.

Et nous voici, avec la complète sensation de notre refus dans la salle de lecture, où les acteurs débandés se décident à se traîner, en nous demandant « si ce sera très long ». Quelques-uns déclarent tout haut que si cela durait plus de trois heures, ils ne pourraient rester. Thierry est là de trois quarts, évitant de nous regarder. Il nous donne une poignée de main froide comme une corde à puits. Les attitudes des acteurs s’arrangent sur les canapés, les fauteuils, pour l’ennui et la fatigue de la lecture.

Malgré tout, nous nous sommes promis de lire la pièce condamnée d’avance, de façon à leur en enfoncer de notre mieux le souvenir. Et parfaitement froid, parfaitement maître de mes effets, aussi calme que si je lisais dans ma chambre, avec un parfait et supérieur sentiment de mépris pour ceux qui m’é-