Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/213

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tien, ne communiait à son château qu’avec des hosties timbrées à ses armes. Un jour, le desservant s’aperçut, avec terreur, que la provision d’hosties armoriées était complètement épuisée. Il se risqua à tendre une hostie plébéienne, l’hostie de tous à la noble bouche dévote, s’excusant avec ce mot admirable : « À la fortune du pot, monsieur le comte. »

6 mai. — Au Jardin des Plantes. Un beau et primitif tableau de l’amour des grandes races : la lionne attaquant un lion de ses tentations tendres, de ses frottements de caresses, et l’enveloppant de ses chatteries puissantes. Cela faisait penser à je ne sais quoi de doux dans la force, comme le rut du Paradis… Une comparaison qui ramène mes idées au scandale que devait donner l’Éden, où Adam et Ève ne pouvaient sortir de l’arbre qu’ils habitaient, sans marcher sur un flagrant délit, plein d’incitation pour des gens si peu vêtus… et vraiment la sévérité de Dieu a été grande de leur dresser procès-verbal, et de les mettre à la porte de son jardin, par ce garde champêtre au sabre de feu.

À trois heures une voiture, attelée de deux chevaux qui frémissent et se cabrent, traverse le jardin, où toutes les bêtes se mettent à faire des ronds éperdus. À la grille des féroces, on découvre la voiture de la toile cirée qui la recouvre, et les employés déballent, comme un fromage, le colis qui est une cage contenant deux tigres. Et l’on fait glisser la cage