Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/225

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L’homme de la Haute-Marne, le paysan épais et retors, aux petits yeux des animaux qu’il émasculait, est là, avec son fils à l’air d’un Jeannot de village, et sa femme tout en noir, de ce noir roux des vieilles tentures des Pompes funèbres, enserrant l’argent, qu’elle a l’air de couver entre ses cuisses, dans un sac de cuir. L’argent sort tout chaud de la femme, qui le suit d’un regret fauve, et pendant que le visage du fils prend un sérieux consterné, l’émotion de l’argent sortant à jamais du sac, tressaille dans les lobes des grandes oreilles du père.

On compte les billets, puis tous les clercs se mettent à ranger les piles d’or qu’on dépapillote. On compte, on recompte, et on recompte encore, au bout de quoi, dans le grand silence de l’étude, la voix nette et un peu railleuse du premier clerc s’élève, et jette : « À cette pile, il manque cent francs, à celle-ci dix francs, à celle-là vingt francs… » Le trio de la campagne joue la stupéfaction, muet, il regarde, il regarde toujours la table, comme si, à force de regarder, il allait évoquer sur les piles, les pièces d’or qu’il a oublié d’y mettre. À la fin, comme les pièces mettaient une longue résistance à venir, nous avons laissé nos reçus.

22 juin. — Vichy. J’étais dans mon bain d’eau minérale. Edmond ouvre la porte, me tend une dépêche : « Accepté 48 000. J’écris. Voyez notaire. Mes compliments. De Tourbet. »