Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/230

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quence. Il a osé des choses monstrueuses, mais en les sauvant, avec ces atténuations de la voix, cette grâce légère de la langue, que possède ce gros homme, si délicat causeur. Et l’on goûtait un rare et étrange plaisir, en ce salon princier, oubliant de se scandaliser, de ces contes, de ces paradoxes, de ces récits crus de voyages, où semblait se faire entendre la double voix de Rabelais et de Diderot.

Dans la journée, à nous intimement, par les ombres du parc, le poète contait, en traînant un peu la jambe, son lamento de journaliste et de tourneur de meule, et sa muse exubérante et débordante, emprisonnée dans l’Officiel, condamnée à ne peindre que des murs, ou encore, disait-il, je ne peux pas dire qu’il y a un mot comme m…, écrit dessus.

— « Qui sait ! reprenait-il, c’est peut-être le pain sur la planche qui m’a manqué, pour être un des quatre grands noms du siècle… Pourquoi n’aurais-je pas atteint Hugo ? Eh bien ! il y a des jours où cela mélancolifie… Mais la pâtée ! Voilà trente ans que je la donne tout autour de moi. Mon père, mes sœurs, mes enfants, j’ai fait vivre tout ça… Ma fortune, ce n’est pas pour faire le piteux avec vous, vous comprenez ? Mais j’ai trois louis là-haut et il y a cent quarante francs à la maison, pour qu’ils vivent… Si j’avais le malheur d’être malade quinze jours, eh bien ! ça irait encore, en déménageant la maison… Mais si la maladie durait six semaines, il faudrait que j’aille à l’hospice Dubois, comme les autres. »

Couchés dans le bateau de la princesse, sous le