Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/285

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notre conscience littéraire, le travail de nos livres, pour ainsi dire, sués de notre sang, enfin la passion, que nous mettons à nous satisfaire. Vils conseils d’un courtisan de tous succès et de toute popularité.

Et comme nous lui déclarons fièrement qu’il n’y a pour nous qu’un public, non celui du moment, mais celui de l’avenir, il nous dit avec un haussement d’épaules : « Est-ce qu’il y a un avenir, une postérité ?… Vous vous figurez ça, vous ! » blasphème le journaliste qui, à chaque article, touche le viager de sa courte gloire, et ne la veut pas plus longue pour les autres, non récompensés de leur vivant, — pas plus que pour les livres méconnus qui espèrent leur paye de la postérité.

Il gronde, il grogne, il argutie, avec cet agacement de nerfs, que tous ceux qui le connaissent, lui ont toujours vu pour une œuvre un peu haute, l’espèce de petite colère qui le congestionne dans la discussion, et encore avec la mauvaise foi féminine qui le caractérise. Au fond, il est pris d’une inquiétude jalouse de l’acceptation de l’œuvre par le public présent ou futur, et alors il mêle les coups de boutoir aux reproches aigus, et sort de ses habitudes de politesse… Puis tout à coup, dans ses paroles, nous sentons percer la visite d’un ami qui ne nous aime pas. Sainte-Beuve nous reproche durement d’avoir fait lire, à notre héroïne, Kant, qui de son temps n’était pas traduit, nous jetant : « Alors quelle foi voulez-vous qu’on ait à votre étude ? » Et il nous répète