Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/296

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on fait rentrer le couteau dans le trou du linge raide, on mesure la largeur du coup de la mort, là où il a été donné.

Enfin la terrible sonnette du jury, et par la porte ouverte, sur la paroi de l’escalier éclairé par lequel descendent les jurés, leurs ombres les annoncent et les précèdent d’une façon saisissante, presque fantastique. Ils prennent place, pendant que derrière le banc de l’accusé apparaît un officier de gendarmerie en tricorne. Les lampes allumées mettent des lumières étroites sur la table du tribunal, les papiers, le code, un peu de rougeoiement au plafond. Aux fenêtres pâlit l’azur blême d’un commencement de nuit.

La figure bourgeoise des jurés a pris une espèce de sévérité de grands juges. Un recueillement, un silence presque religieux… Le président du jury, qui se trouve être le vieux Giraud, le peintre de la princesse, se lève avec sa barbe blanche, déplie un papier, — et d’une voix qui se voile d’un enrouement subit, — lit la déclaration du jury, qui est oui, — et Giraud s’est rassis.

Alors, un moment, c’est une suspension de respiration qui retient tous les souffles, puis, la mort, cela court, dans un murmure tout bas, sur toutes les lèvres… Dans la surprise sinistre et inattendue de ce « oui » sans circonstances atténuantes, il semble qu’il passe le froid d’une grande terreur, et l’immense frisson de tout le cœur d’une foule, remontant au tribunal, donne à ces froids exécuteurs de la Loi, le contre-coup de l’émoi humain du public.