Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/314

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bras, sur le démoralisant ouvrage d’une grande bataille, fit que le matin une partie de ce corps, à la première canonnade, se laissa aller à la débandade.

Il nous parle encore de ces superstitions si naturelles dans cette carrière de fatalité, en cette loterie de la vie et de la mort, il nous parle de ces croyances, parmi les officiers, aux chevaux qui portent malheur, et qui sont mortels à ceux qui les montent. À ce propos, il nous raconte qu’il avait envie d’un alezan doré, que lui avait enlevé le général Patrat, et sur lequel il fut tué à Palestro, coupé en deux par le dernier boulet tiré par l’artillerie autrichienne ; dans cette affaire, où pas un homme de son corps ne fut blessé. Et il apprit depuis que son avant-dernier propriétaire, un officier d’artillerie, avait été tué, en le montant.

— Parfois, dans la poussière de la grande route, sous les hauts châtaigniers, nous écoutons la douce et triste cantilène d’un paysan d’Auvergne, berçant, assise sur son bras relevé, une petite montagnarde fiévreuse et pâlotte, dont il paraît charmer le mal.

22 juin. — Le général Bataille nous entretient de l’émotion du feu. Pas d’émotion, une fois l’action engagée, mais avant, par exemple, aux premiers coups de fusil qui se tirent sur les lignes d’un camp, quand on est couché encore, alors un sentiment de com-