Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/349

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sements douloureux qui ne disent rien. Il y a chez lui une horrible angoisse muette, qui ne peut sortir de ses blondes moustaches, toutes frissonnantes… Serait-ce, mon Dieu ! une paralysie de la parole… Cela se calme un peu, au bout d’une heure, sans qu’il puisse dire d’autres paroles que des oui et des non, avec des yeux troubles, qui n’ont plus l’air de me comprendre.

Tout à coup le voici qui reprend le volume, le met devant lui, et veut lire, veut absolument lire. Il lit le cardinal Pa (cca), puis plus rien, impossible de finir le mot. Il s’agite sur son fauteuil, il ôte son chapeau de paille, il promène et repromène ses doigts égratigneurs sur son front, comme s’il voulait fouiller son cerveau, il froisse la page, il l’approche de ses yeux.

Le désespoir de ce vouloir, la colère de cet effort ne peut s’écrire. Non, jamais je n’ai été témoin d’un spectacle aussi douloureux, aussi cruel. C’était l’enragement d’un homme de lettres, d’un fabricateur de livres, qui s’aperçoit qu’il ne peut plus même lire.

Ah ! si l’on pouvait lire ce qui se passe dans une cervelle, en ces moments-là ! J’ai toujours dans les yeux la déchirante imploration de son regard, pendant la terrible crise.

Vers le 26 mai. — Dans le passage galopant de