Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/354

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l’aise mon désespoir, je l’ai abandonné, un instant, dans le jardin, et me suis promené dans les allées de la villa ; mais bientôt le bruit joyeux des assiettes, le rire des enfants, la gaîté perçante des femmes, le bonheur de ces dîneurs en plein air, m’ont chassé chez moi. En rentrant, mon œil a rencontré dans le lierre, au-dessus de ma porte de jardin, le no 13.

Nuit de samedi (18 juin) à dimanche. — Il est deux heures du matin. Me voici relevé et remplaçant Pélagie près du lit de mon pauvre et cher frère, qui n’a pas repris la parole, qui n’a pas repris connaissance, depuis jeudi à deux heures de l’après-midi. J’écoute l’anhélance de sa respiration. Dans l’ombre des rideaux, j’ai devant moi la fixité de son regard. Je suis effleuré, à tout instant, du frôlement de son bras sortant de son lit, pendant que dans sa bouche avortent et se brisent des paroles qu’on ne comprend pas… Par la fenêtre ouverte, par-dessus le noir des grands arbres, entre et s’allonge, sur le parquet, la blanche clarté électrique d’une lune de ballade… Il y a de sinistres silences, où s’entend seul le bruit de la montre à répétition de notre père, avec laquelle, de temps en temps, je tâte le pouls de son dernier-né… Malgré trois prises de bromure de potassium, avalées dans le quart d’un verre d’eau, il ne peut dormir une minute, et sa tête